mercredi 3 juin 2015

BySenses + Owann = The Tower Tree, une équation belge


The Tower Tree : leur nom est encore inconnu, mais ils seront en novembre prochain à l’affiche du troisième B-Wave Festival à Heusden-Zolder dans le Limbourg. Didier Dewachtere n’a publié son premier disque, Frigments Fragments, que l’année dernière, sous le pseudonyme de BySenses. Son complice Johan de Paepe, connu des aficionados pour les superbes photos qu’il prend lors des festivals de musique électronique, vient quant à lui de publier le sien, Particles. Lui aussi a choisi un pseudonyme, Owann. Les deux hommes viennent de fonder The Tower Tree, un nouveau duo qui confirme un peu plus la vitalité de la scène belge contemporaine.

 

The Tower Tree = BySenses + Owann / photo : Johan de Paepe
The Tower Tree (photo : Johan de Paepe)
A gauche : BySenses (Didier Dewachtere), à droite : Owann (Johan de Paepe)

Bruxelles, le 29 mai 2015

Owann (Johan de Paepe) / photo : Johan de Paepe
Owann (photo : Johan de Paepe)
Question classique : comment avez-vous découvert la musique électronique ? Dites-moi tout : quel artiste, quel disque, quelle année !

Owann (Johan de Paepe) – A la fin des années 70 ou au début des années 80, j'ai entendu pour la première fois l'album Wish You Were Here de Pink Floyd. J'ai tout de suite été intéressé par les longues plages instrumentales, moins par les passages chantés. Un jour, mon père m'a emmené dans un magasin de disques et nous avons demandé conseil au vendeur : comment trouver davantage ce genre de musique ? Le gars nous a suggéré un groupe allemand, Tangerine Dream. Le disque s'appelait Rubycon. C'était exactement ce que je recherchais, et encore mieux : très loin de la pop, une musique d'une tout autre planète. Je suis devenu fan instantanément. Par la suite, je me suis procuré Ricochet puis tous les autres albums un à un. Puis ceux de Klaus Schulze. J'ai tout acheté de cette période. Dix ans, quinze ans après, ma vie a changé. J'ai eu une famille, des enfants. Par manque de temps, j'ai complètement arrêté d'écouter de la musique électronique. C'est grâce à Internet que j'ai repris contact, il y a quelques années seulement. Je me demandais ce que devenaient Tangerine Dream et Klaus Schulze. Une simple requête sur un moteur de recherche m'a permis de découvrir qu'ils existaient toujours. En revanche, j'ai constaté à quel point leur style avait changé. Moi, je suis resté attaché à leur première période.

BySenses (Didier Dewachtere) / photo : Johan de Paepe
BySenses (photo : Johan de Paepe)
BySenses (Didier Dewachetere) – De mon côté, j'ai été dans les années 80 un très grand fan de new wave, des Sisters of Mercy, Simple Minds, U2. Un jour, alors que j'écoutais distraitement la radio, j'ai entendu une émission qui devait s'appeler Musique de France. Ce n'est pas la programmation elle-même qui a attiré mon attention mais le générique de l'émission. C'était révolutionnaire, mais le nom de l'artiste n'était pas précisé. Un peu plus tard, j'ai vu un disque dans un magasin dont la couverture – des personnages munis de jumelles – m'a tellement plu que je l'ai acheté tout de suite sans même savoir à quoi m'attendre. Il s'agissait d'Equinoxe, de Jean-Michel Jarre. Tu imagines ma surprise quand j'ai reconnu la musique de mon émission. Enfin je pouvais mettre un nom sur ces sons. Ça m'a permis de mieux m'orienter, de comprendre que mon truc, c'était la musique électronique. Je me suis ensuite tourné vers Vangelis. J'ai aussi eu la chance d'entendre en direct l'émission Schwingungen lorsque j'ai travaillé en Allemagne, à Brakel du côté de Paderborn. Mais un peu plus tard, c'est encore une couverture intrigante qui a attiré mon attention : une jaquette mauve représentant un type assis devant des machines incroyables, et cette seule lettre : « X ». Et c'est ainsi que j'ai été introduit à l'univers de Klaus Schulze. Mais ça n'allait pas de soi. J'avais 15 ans et j'ai dû demander de l'argent à ma mère pour pouvoir m'offrir le disque… puis tous les autres. Puis ceux de Tangerine Dream, Roedelius – j'adore Roedelius –, Michael Shrieve ! Mes parents étaient souvent réticents, car ils n'aimaient pas du tout cette musique. Or le jour a fini par arriver où j'ai aussi voulu acheter des instruments.

C'est l'étape suivante : quiconque aime cette musique finit invariablement par vouloir s'y mettre à son tour.

BySenses – Il m'a fallu attendre d'avoir mon propre appartement pour m'offrir mon premier synthé, le Korg MS-20, et très vite, le MS-50, malgré mon budget limité. J'ai d'abord expérimenté dans un groupe de synthés, qui jouait surtout pour le plaisir. Mais ce n'est qu'en 2010 que j'ai lancé mon projet BySenses. J'ai acheté de nouveaux instruments et j'ai commencé à enregistrer sérieusement.

The Tower Tree = BySenses + Owann / photo : Johan de Paepe
The Tower Tree (photo : Johan de Paepe)
Owann – Pour moi aussi, le manque d'argent a joué son rôle. En outre, il fallait faire rentrer toute une famille dans une petite maison. Nous n'avions pas de place pour des synthés. Je m'étais fait une raison. Ce n'est pas pour moi, point final. Mais en 2010, j'ai rencontré Didier grâce à un ami commun. C'est en parlant musique qu'on s'est aperçu qu'on partageait les mêmes goûts. Trouver un autre fan de Tangerine Dream et Klaus Schulze dans les environs, c'était très, très rare, tu peux me croire. C'est bien simple, je croyais être le seul dans toute la Belgique ! Mais quand Didier m'a raconté qu'il faisait lui-même de la musique, ça a piqué ma curiosité. Pourtant, même après qu'il m'a présenté sa collection d'instruments, à aucun moment je n'ai eu l'idée de l'imiter. Jusqu'au jour où un ami m'a expliqué qu'on n'avait pas besoin d'être riche pour faire de la musique, qu'il y avait un autre moyen : les logiciels. Il suffit d'un clavier maître midi et d'un ordinateur. Je ne savais rien de tout ça. Ce fut la révélation. Enfin, je pouvais composer les petits morceaux qui trottaient depuis toujours dans ma tête. Techniquement je ne suis pas doué, mais Ableton m'aide à corriger mes erreurs. Je n'ai aucune formation musicale, mais grâce au multipiste, on n'a plus besoin d'être un virtuose. En réalité, je ne joue pas vraiment d'un instrument, je travaille surtout à la souris. Ne sachant ni lire les notes ni improviser, je compose tout. La partition, pour moi c'est l'ordinateur, et les notes ce sont les signaux midi. Je n'ai aucun appareil, toute ma musique provient des softwares.

BySenses – Je me suis converti à mon tour aux logiciels. J'utilise aussi Ableton, mais je reste quand même attaché aux vieux instruments analogiques.

BySenses - Frigments Fragments / source : bysenses.bandcamp.com
BySenses – Frigments Fragments (2014)
Que signifie le nom BySenses ?

BySenses – On me le demande souvent. Il ne faut pas oublier le S majuscule au milieu, car cela signifie « By Senses », du nom d'un morceau qui figure sur le fameux Live de Schulze (1980) : Sense, peut-être l'un de mes titres préférés. Je voulais que mon nom de scène rappelle mon héros, Klaus Schulze.

Et Owann ? Aucun lien avec Star Wars ?

Owann – Non, non ! C'est une autre manière de prononcer mon prénom, Johan. Je travaille dans une institution pour handicapés mentaux. Certains d'entre eux ont des problèmes d'élocution et ne prononcent pas bien mon nom. Ils disent Owann. C'est à eux que je dois mon nom de scène.

Et toi, Didier, quel métier exerces-tu ?

BySenses – Je suis adjudant dans l'armée.

Pouvez-vous présenter vos disques respectifs ?

BySenses – J'ai autoproduit mon premier album, Frigments Fragments, l'année dernière. Certains me disent que je fais de l'ambient, d'autres me soutiennent qu'il s'agit plutôt de Berlin School. Il y a une raison : j'ai délibérément tâché de mélanger les genres. Le disque a, semble-t-il, trouvé son public. Il a terminé 8e dans la catégorie Album international de l'année aux derniers Schallwelle Awards.

Owann - Particles / source : owann.bandcamp.com
Owann – Particles (2015)
Owann – Mon premier album vient de sortir. Je l'ai conçu dans le même esprit que celui de BySenses. D'où son nom, Particles. Les morceaux sont comme des particules dans des genres très différents réunis ici. Quand j'entends une pièce de musique qui me plaît, j'essaie toujours de la décomposer pour comprendre comment elle a été construite. Ensuite, je tâche de reproduire ce que j'ai entendu avec mes logiciels. Je veux les utiliser pour composer la musique que j'aime, ce qui m’oblige à devoir dépasser les presets.

Venons-en à votre collaboration. Encore un nom étrange : The Tower Tree.

Owann – On a procédé à un vrai brainstorming pour trouver un nom. A un moment, Didier a prononcé ces mots sans y penser.
BySenses – Ce nom n'avait aucune signification particulière quand nous l'avons choisi, mais l'allitération nous plaisait. Nous lui avons trouvé un sens après coup. The Tower Tree peut signifier l'opposition entre la ville et la campagne, la technologie et la nature.
Owann – Chacun peut inventer sa propre interprétation.

Que va-t-il se passer pour The Tower Tree dans les prochains mois ?

BySenses – Notre première collaboration n'a pas été complètement musicale. Johan ne te l'a pas dit, mais il est aussi photographe. Il m'avait demandé de mettre en musique certains de ses clichés. Ce n'est que l'an dernier que nous avons décidé de travailler ensemble. Johan Geens, l'initiateur du B-Wave, m'avait demandé de l'aider à trouver des artistes belges pour la prochaine édition du festival, le 14 novembre prochain. Je lui ai proposé quelques noms quand il m'a finalement suggéré : «Pourquoi pas toi ? » C'est à ce moment que j'ai pensé à solliciter Owann pour me donner un coup de main. Je n'ai encore jamais joué sur scène. Lui non plus, d'ailleurs. Notre concert de novembre sera une première pour tous les deux. Du coup, on peut dire que le groupe est né pour le B-Wave. Nous avons déjà commencé les répétitions. Deux morceaux se retrouveront sur le prochain album d'Owann et un autre sur le mien. Nous avons par ailleurs composé cinq titres en commun.

Owann – Ils figureront sur notre premier album. Le disque sera disponible au B-Wave. Mais nous ne l'avons pas encore baptisé. Pris individuellement, nos styles ne se ressemblent pas. Ils doivent sans doute beaucoup à nos techniques si différentes. Didier est capable d’improviser et de tout jouer en direct. Moi je dois composer et j’ai besoin des pistes multiples. Or le mélange des deux donne quelque chose qu'aucun de nous ne pourrait réaliser par lui-même. Ni BySenses, ni Owann ne sauraient créer seuls du Tower Tree.

The Tower Tree = BySenses + Owann / photo : Alain Kinet
The Tower Tree (photo : Alain Kinet)

Prochain rendez-vous avec The Tower Tree


B-Wave Festival 2015 (3e édition)
Cultuur Centrum Muze, Dekenstraat 40, 3550 Heusden-Zolder, Belgique
samedi 14 novembre 2015, 13h00
avec Nomatisan, The Tower Tree, Space Megalithe, Radio Massacre International, Robert Rich.