A 32 ans, Fryderyk Jona incarne la relève dans un style musical dont les amateurs ne rajeunissent pas. Originaire de Pologne, ce musicien de formation classique, diplômé de l’université Johannes Gutenberg de Mayence, doit à son père la découverte de la Berlin School et de Klaus Schulze. Actif depuis à peine trois ans, il a publié pas moins de cinq albums et a été remarqué en 2015 au point de faire partie des finalistes des Schallwelle Awards dans la catégorie meilleur espoir. C’est d’ailleurs lors de la cérémonie que contact fut pris avec Hans Hermann Hess et Frank Gerber, les organisateurs du festival Electronic Circus, qui lui proposèrent d’en assurer l’ouverture cette année. Ainsi, c'est à Detmold que Fryderyk Jona présentait son nouvel album, Warm Sequencing. Le prochain est déjà en préparation.
Detmold, le 1er octobre 2016
Comment es-tu venu à
la musique ?
Fryderyk Jona – Je
suis clarinettiste classique de formation. C’est pour la musique que je suis
venu vivre en Allemagne, où j’ai passé mon diplôme de musique d’orchestre. A l’heure
actuelle, je joue toujours de la musique classique, je tourne régulièrement avec
un orchestre classique mais aussi avec un big band.
Fryderyk Jona – Warm Sequencing (Synthmusik, 2016) |
FJ – Beaucoup de
choses très importantes. C’est grâce à lui que tout a commencé. Il ne m’a pas
seulement donné le goût de la musique, il m’a aussi fait découvrir la musique
électronique. C’est lui qui m’a offert mon premier disque de Klaus Schulze, le
double album Dziekuje Poland, qui
documentait la tournée polonaise de Klaus en 1983. J’avais alors 15 ans. C’est
assez tard mais j’essayais de faire de la musique depuis un certain temps déjà.
Et puis je dois aussi à mon père mon premier synthé, le Yamaha DX7, parfait pour ce genre de
musique, alors que lui-même ne s’y intéressait pas tant que ça. Nous avions
déjà plusieurs synthés à la maison, mais celui-ci n’était que pour moi, je l’avais
dans ma chambre. Malheureusement, c’était un instrument très difficile à
programmer. Pour un premier instrument, ce n’était pas de chance. C’est aussi à
cette époque, vers 15 ans, que j’ai reçu mon premier ordinateur, qui était
équipé du séquenceur Cakewalk.
Fryderyk Jona et son père sur scène |
FJ – C’était un
texte de son cru, écrit dans le dialecte polonais des montagnes du Sud. Il y
est question de deux étoiles. L’une brille pour lui, l’autre pour une femme. Il
s’est un peu inspiré du chant traditionnel, notamment de la technique locale de
la « voix blanche », tout en inventant son propre style selon l’inspiration
du moment.
J’ai remarqué que tu
avais beaucoup d’instruments sur scène aujourd’hui. De quoi as-tu joué ?
FJ – J’ai utilisé
le Minimoog, bien sûr, mais aussi les effets de vocodeur du célèbre MS2000 de
Korg, le Prophet 12 de Dave Smith et aussi l’Andromeda d’Alesis. Ce dernier n’était
pourtant pas au programme. J’avais prévu des pads, des effets et des filtres
pour le Waldorf Q, mais il est tombé en panne hier ! Heureusement, l’Andromeda
est un bon instrument, il l’a bien suppléé.
Ta musique est
complexe, comment as-tu interprété tes morceaux sur scène ?
FJ – C’est
impossible de tout reproduire, seul sur scène. J’ai une partie playback que je
programme avec mes logiciels. J’utilise surtout Ableton Live pour les séquences.
Trois d’entre elles venaient aujourd’hui du Beatstep d’Arturia. J’ai aussi mis
à contribution le séquenceur intégré du Alesis. Tout le reste et joué à la
main.
Fryderyk Jona – Wind Experience (Synthmusik, 2014) |
FJ – Pas avant le
début de l’année 2013. Je faisais de la musique depuis de nombreuses années. Soit
je la publiais sur YouTube, soit je la gardais simplement pour moi. J’ai passé
de nombreuses nuits à jammer pour le plaisir. C’est un de mes collègues, qui
est aussi batteur, qui m’a donné l’idée de sortir un disque. Il m’a ensuite
fallu toute une année de travail pour achever ce premier album, Wind Experience [sorti en 2014].
Depuis, tu as
autoproduit tous tes disques. Tu ne voulais pas travailler avec un label ?
FJ – J’y ai
pensé, mais j’ai finalement décidé de fonder mon propre petit label, Synthmusik,
qui me permet de publier ce que je veux. Je m’occupe à peu près de tout, sauf
des couvertures. Il vaut mieux que je ne m’en mêle pas. Les quatre premières
sont l’œuvre d’un excellent graphiste polonais, Adrian Naumowicz. Et c’en est un
autre, Waldemar Dylewski, qui a signé la dernière, celle de Warm Sequencing [2016].
Comme beaucoup, je t’ai
découvert parce que tu étais nommé aux Schallwelle Awards. C’était une surprise
pour toi ?
FJ – Oui, quand j’ai
vu ça, j’étais content, parce que ça voulait dire que ma musique avait trouvé
son public, à force de partager des morceaux sur les réseaux sociaux.
Fryderyk Jona live @ Electronic Circus 2016 |
FJ – Oui, bien sûr.
Pour moi, le modèle, c’est Genesis, même si on ne l’entend pas forcément dans mes
morceaux. J’aime leurs percussions, leur façon de programmer, y compris sur les
albums plus tardifs. J’aime beaucoup Michael Jackson, en particulier son côté funk.
Ça, on le remarque
peut-être dans ta manière d’utiliser les basses, ce ne sont pas des séquenceurs
comme chez Tangerine Dream ou Klaus Schulze.
FJ – Exactement. Même
si je suis tout de même un fan de la Berlin School, de Jarre ou de Vangelis. Je les ai
énormément écoutés, surtout quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique
électronique entre 15 et 20 ans. Mais j’écoute beaucoup d’autres choses. Michael
Jackson m’a clairement influencé, au moins un peu. Pink Floyd aussi.
Quels sont tes
projets ?
FJ – Le prochain
album est déjà terminé, ou presque. J’aimerais encore enregistrer quelques
pistes avec une chanteuse. Pas d’inquiétude, ce ne sera pas Lisa Gerrard. J’ai
fait appel à une chanteuse versée dans le chant folklorique et qui chantera… en
russe ! Et toujours selon cette technique de « voix blanche »
haut perchée. Cette artiste sait très bien utiliser sa voix comme s’il s’agissait
d’un instrument. C’est-à-dire qu’il y a du texte, mais aussi beaucoup de
vocalises. De mon côté, je n’utilise que des synthés, mais j’aimerais bien
introduire aussi une guitare électrique.
FJ – Non, je n’oserais
pas, même si j’ai enregistré des parties de guitare sur mon disque Init Mind, mais j’utilisais alors un ebow.
Cette fois, j’aimerais embaucher un vrai guitariste.
C’était ton premier
concert aujourd’hui ?
FJ – Non, mais le
premier devant un public aussi large. J’ai fait plusieurs concerts à domicile,
le dernier en juin avec Michael Brückner et son ami Mathias Brüssel. Michael et
moi sommes voisins. Quand nous nous sommes connus, j’habitais encore le centre-ville
de Mayence, mais nous communiquions surtout en ligne, en échangeant des morceaux
ou des idées sur Internet. Depuis que j’ai déménagé à Unter-Olm, nous sommes
encore plus proches [Michael habite Ober-Olm, le faubourg voisin, où il s’est
produit l’année dernière]. Depuis, je me suis aussi produit dans une église à Bad Camberg. Hans-Hermann
Hess et Frank Gerber m’ont déjà proposé de revenir jouer l’année prochaine à l’Electronic
Circus, mais c’est encore une hypothèse.