mercredi 5 octobre 2016

Fryderyk Jona, de la clarinette au Minimoog


A 32 ans, Fryderyk Jona incarne la relève dans un style musical dont les amateurs ne rajeunissent pas. Originaire de Pologne, ce musicien de formation classique, diplômé de l’université Johannes Gutenberg de Mayence, doit à son père la découverte de la Berlin School et de Klaus Schulze. Actif depuis à peine trois ans, il a publié pas moins de cinq albums et a été remarqué en 2015 au point de faire partie des finalistes des Schallwelle Awards dans la catégorie meilleur espoir. C’est d’ailleurs lors de la cérémonie que contact fut pris avec Hans Hermann Hess et Frank Gerber, les organisateurs du festival Electronic Circus, qui lui proposèrent d’en assurer l’ouverture cette année. Ainsi, c'est à Detmold que Fryderyk Jona présentait son nouvel album, Warm Sequencing. Le prochain est déjà en préparation.


Fryderyk Jona dans son studio / source : www.fryderykjona.com
Fryderyk Jona dans son studio

Detmold, le 1er octobre 2016

Comment es-tu venu à la musique ?

Fryderyk Jona – Je suis clarinettiste classique de formation. C’est pour la musique que je suis venu vivre en Allemagne, où j’ai passé mon diplôme de musique d’orchestre. A l’heure actuelle, je joue toujours de la musique classique, je tourne régulièrement avec un orchestre classique mais aussi avec un big band.

Fryderyk Jona - Warm Sequencing (Synthmusik, 2016) / source : fryderykjona.bandcamp.com
Fryderyk Jona – Warm Sequencing (Synthmusik, 2016)
Oui, mais cet intérêt pour la musique ne vient-il pas de plus loin dans le passé ? C’est bien ton père qui t’as accompagné au chant aujourd’hui sur scène. Qu’as-tu hérité de lui ?

FJ – Beaucoup de choses très importantes. C’est grâce à lui que tout a commencé. Il ne m’a pas seulement donné le goût de la musique, il m’a aussi fait découvrir la musique électronique. C’est lui qui m’a offert mon premier disque de Klaus Schulze, le double album Dziekuje Poland, qui documentait la tournée polonaise de Klaus en 1983. J’avais alors 15 ans. C’est assez tard mais j’essayais de faire de la musique depuis un certain temps déjà. Et puis je dois aussi à mon père mon premier synthé, le Yamaha DX7, parfait pour ce genre de musique, alors que lui-même ne s’y intéressait pas tant que ça. Nous avions déjà plusieurs synthés à la maison, mais celui-ci n’était que pour moi, je l’avais dans ma chambre. Malheureusement, c’était un instrument très difficile à programmer. Pour un premier instrument, ce n’était pas de chance. C’est aussi à cette époque, vers 15 ans, que j’ai reçu mon premier ordinateur, qui était équipé du séquenceur Cakewalk.

Fryderyk Jona live @ Electronic Circus 2016 / photo S. Mazars
Fryderyk Jona et son père sur scène
Ton père a chanté en polonais sur scène. Que signifiaient les paroles ?

FJ – C’était un texte de son cru, écrit dans le dialecte polonais des montagnes du Sud. Il y est question de deux étoiles. L’une brille pour lui, l’autre pour une femme. Il s’est un peu inspiré du chant traditionnel, notamment de la technique locale de la « voix blanche », tout en inventant son propre style selon l’inspiration du moment.

J’ai remarqué que tu avais beaucoup d’instruments sur scène aujourd’hui. De quoi as-tu joué ?

FJ – J’ai utilisé le Minimoog, bien sûr, mais aussi les effets de vocodeur du célèbre MS2000 de Korg, le Prophet 12 de Dave Smith et aussi l’Andromeda d’Alesis. Ce dernier n’était pourtant pas au programme. J’avais prévu des pads, des effets et des filtres pour le Waldorf Q, mais il est tombé en panne hier ! Heureusement, l’Andromeda est un bon instrument, il l’a bien suppléé.

Ta musique est complexe, comment as-tu interprété tes morceaux sur scène ?

FJ – C’est impossible de tout reproduire, seul sur scène. J’ai une partie playback que je programme avec mes logiciels. J’utilise surtout Ableton Live pour les séquences. Trois d’entre elles venaient aujourd’hui du Beatstep d’Arturia. J’ai aussi mis à contribution le séquenceur intégré du Alesis. Tout le reste et joué à la main.

Fryderyk Jona - Wind Experience (Synthmusik, 2016) / source : fryderykjona.bandcamp.com
Fryderyk Jona – Wind Experience (Synthmusik, 2014)
Quand et comment as-tu décidé d’enregistrer un album ?

FJ – Pas avant le début de l’année 2013. Je faisais de la musique depuis de nombreuses années. Soit je la publiais sur YouTube, soit je la gardais simplement pour moi. J’ai passé de nombreuses nuits à jammer pour le plaisir. C’est un de mes collègues, qui est aussi batteur, qui m’a donné l’idée de sortir un disque. Il m’a ensuite fallu toute une année de travail pour achever ce premier album, Wind Experience [sorti en 2014].

Depuis, tu as autoproduit tous tes disques. Tu ne voulais pas travailler avec un label ?

FJ – J’y ai pensé, mais j’ai finalement décidé de fonder mon propre petit label, Synthmusik, qui me permet de publier ce que je veux. Je m’occupe à peu près de tout, sauf des couvertures. Il vaut mieux que je ne m’en mêle pas. Les quatre premières sont l’œuvre d’un excellent graphiste polonais, Adrian Naumowicz. Et c’en est un autre, Waldemar Dylewski, qui a signé la dernière, celle de Warm Sequencing [2016].

Comme beaucoup, je t’ai découvert parce que tu étais nommé aux Schallwelle Awards. C’était une surprise pour toi ?

FJ – Oui, quand j’ai vu ça, j’étais content, parce que ça voulait dire que ma musique avait trouvé son public, à force de partager des morceaux sur les réseaux sociaux.

Fryderyk Jona live @ Electronic Circus 2016 / photo S. Mazars
Fryderyk Jona live @ Electronic Circus 2016
Parlons à présent de la musique proprement dite. J’ai clairement entendu l’influence de Klaus Schulze. Y en a-t-il d’autres ?

FJ – Oui, bien sûr. Pour moi, le modèle, c’est Genesis, même si on ne l’entend pas forcément dans mes morceaux. J’aime leurs percussions, leur façon de programmer, y compris sur les albums plus tardifs. J’aime beaucoup Michael Jackson, en particulier son côté funk.

Ça, on le remarque peut-être dans ta manière d’utiliser les basses, ce ne sont pas des séquenceurs comme chez Tangerine Dream ou Klaus Schulze.

FJ – Exactement. Même si je suis tout de même un fan de la Berlin School, de Jarre ou de Vangelis. Je les ai énormément écoutés, surtout quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique entre 15 et 20 ans. Mais j’écoute beaucoup d’autres choses. Michael Jackson m’a clairement influencé, au moins un peu. Pink Floyd aussi.

Quels sont tes projets ?

FJ – Le prochain album est déjà terminé, ou presque. J’aimerais encore enregistrer quelques pistes avec une chanteuse. Pas d’inquiétude, ce ne sera pas Lisa Gerrard. J’ai fait appel à une chanteuse versée dans le chant folklorique et qui chantera… en russe ! Et toujours selon cette technique de « voix blanche » haut perchée. Cette artiste sait très bien utiliser sa voix comme s’il s’agissait d’un instrument. C’est-à-dire qu’il y a du texte, mais aussi beaucoup de vocalises. De mon côté, je n’utilise que des synthés, mais j’aimerais bien introduire aussi une guitare électrique.

Fryderyk Jona live @ Electronic Circus 2016 / photo S. Mazars
Fryderyk Jona live @ Electronic Circus 2016
Tu en joues toi-même ?

FJ – Non, je n’oserais pas, même si j’ai enregistré des parties de guitare sur mon disque Init Mind, mais j’utilisais alors un ebow. Cette fois, j’aimerais embaucher un vrai guitariste.

C’était ton premier concert aujourd’hui ?

FJ – Non, mais le premier devant un public aussi large. J’ai fait plusieurs concerts à domicile, le dernier en juin avec Michael Brückner et son ami Mathias Brüssel. Michael et moi sommes voisins. Quand nous nous sommes connus, j’habitais encore le centre-ville de Mayence, mais nous communiquions surtout en ligne, en échangeant des morceaux ou des idées sur Internet. Depuis que j’ai déménagé à Unter-Olm, nous sommes encore plus proches [Michael habite Ober-Olm, le faubourg voisin, où il s’est produit l’année dernière]. Depuis, je me suis aussi produit dans une église à Bad Camberg. Hans-Hermann Hess et Frank Gerber m’ont déjà proposé de revenir jouer l’année prochaine à l’Electronic Circus, mais c’est encore une hypothèse.